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Écrire le temps - Zoroastre et son ombre

par Hamid

Ce qui suit est un rapport d'entretien, accordé au journaliste québécois, Michel Bélair, en avril 2011, et publié le 7 mai 2011 dans le journal montréalais Le Devoir

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Il y a quelques millénaires déjà, le prophète Zarathoustra a donné à l'Empire perse un air d'éternité qui se laisse encore sentir, malgré la théocratie au pouvoir en République islamique d'Iran...

Même si les déserts de pierre et de sable y dominent le territoire, le Moyen-Orient est une terre fertile en son genre. Plusieurs grandes civilisations s'y sont épanouies, on le sait, mais c'est là aussi qu'ont pris naissance les systèmes de croyances les plus marquants de l'histoire de l'humanité: les grandes religions monothéistes comme le judaïsme, le christianisme et l'islam y ont trouvé un terreau fertile avant de s'étendre à toute la planète.

Mais c'est là une tendance qui ne date pas d'hier, comme le fait remarquer Hamid Nedjat, de l'Université de Montréal, dans sa communication au congrès de l'ACFAS intitulée: «L'ombre de Zarathoustra: interactions entre l'islam iranien et l'imaginaire zoroastrien dans la culture persane».

Un islam différent

Au bout du fil, le chercheur précise d'abord que les historiens ne s'entendent pas pile poil sur la date de la naissance du prophète. «Mais une sorte de consensus se fait de plus en plus autour du 26 mars 1760... avant Jésus-Christ quant à la naissance de Zarathoustra ou Zoroastre, comme disaient les Grecs.»

Zoroastre prêcha une religion monothéiste et solaire dans laquelle s'affrontent le Bien (Ahura Mazda) et le Mal (Ahriman). Cette vision du monde lui fut révélée lorsqu'il avait à peine 30 ans et son enseignement eut rapidement une influence considérable sur la classe dirigeante: la Perse tout entière se convertit bientôt et le zoroastrisme devient dès lors la religion persane. Ce qui reste de la parole de Zoroastre est consigné dans un livre sacré, l'Avesta, avec des prières, des hymnes qui datent de son époque, des fragments de chroniques et des éléments de cosmogonie expliquant les débuts du monde et la Création.

Le zoroastrisme a marqué profondément la culture iranienne et, par ricochet, une bonne partie du monde, bien avant qu'Alexandre ne s'aventure aux confins du monde. La pensée, l'art, la littérature, l'architecture et l'organisation sociale d'un territoire impérial immense en sont imprégnés depuis des millénaires. «Et c'est encore vrai de nos jours, poursuit Hamid Nedjat, alors qu'on retrouve toujours en Inde plus de cinq millions de personnes parlant le farsi». Dans son exposé, le chercheur veut montrer que l'islam comme on le vit encore aujourd'hui en Iran, et malgré l'image que nous en donnent les médias, est toujours différent de celui qui est pratiqué ailleurs dans le monde.

«Encore aujourd'hui, poursuit-il, et même si l'islam iranien est devenu politique et théocratique depuis la révolution, la façon dont les gens vivent leur religion chez eux, hors de l'emprise du régime, reflète cette différence. Le calendrier iranien, par exemple, est un calendrier solaire et non lunaire, comme ailleurs dans les pays de culture arabe. En Iran, la fête rituelle du Norouz est un événement majeur qui annonce 15 jours durant le début du calendrier solaire. Mais il y a des fêtes aussi, chacune avec ses rituels et ses hymnes propres, qui sont reliés à la nature et aux éléments

— l'eau, la terre, l'air, le feu — et d'autres aussi qui marquent les saisons et qui appartiennent au fond culturel zoroastrien et non à l'islam. Malgré tout ce qu'on dit, malgré une très nette idéologisation de la religion dans l'Iran d'aujourd'hui, tout cela occupe encore une grande place dans l'imaginaire du peuple.»

Fusions en tous genres

Le chercheur rappelle que les Perses ont résisté pendant quatre siècles à l'invasion de l'islam, qui n'est venu d'Arabie qu'au VIIe siècle après Jésus-Christ. Cette longue résistance leur a d'abord permis de sauvegarder leur langue, mais elle a aussi mené à l'espèce de fusion qui particularise encore la culture persane et la religion islamique pratiquée en Iran.

«L'islam iranien, dit Hamid Nedjat, n'est pas l'islam qu'on pratique dans les pays de culture arabe: je me répète mais il faut bien le souligner. C'est un islam issu de la lente fusion de deux monothéismes et de deux cultures: une synthèse étonnante, exceptionnelle, intelligente. L'intégration s'est faite parfois douloureusement, mais elle s'est faite en profondeur et les Iraniens en sont fiers.»

On retrouve par exemple dans l'islam iranien un nombre considérable d'anges, ces intermédiaires que Zoroastre voyait comme des messagers de Dieu et dont plusieurs autres prophètes ou théologiens, sans compter les panthéons grec et romain, se sont par la suite inspirés. «En Iran, reprend notre chercheur, il y a un ange pour chaque mois, même un ange pour chaque jour, et il existe une hiérarchie très élaborée pour les départager selon le rôle qu'on leur fait jouer. Les exemples de ces fusions en tous genres ne manquent pas et, même si elles se font surtout sentir dans la sphère culturelle, en poésie, en philosophie surtout, où les penseurs iraniens ont joué un rôle considérable, cela est tout aussi vrai dans la religion que les Iraniens pratiquent tous les jours.»

Soulignons en terminant que, si on ne peut se rendre à Sherbrooke pour assister à l'allocution d'Hamid Nedjat, on pourra continuer à réfléchir sur le sujet en voyant une pièce de théâtre: Lettres persanes, un spectacle d'Olivier Kemeid et Geoffrey Gaquère construit à partir du texte de Montesquieu, vient tout juste de prendre l'affiche à l'Espace libre, et on pourra lire l'entrevue que nous ont accordée les deux compères dans notre cahier Culture.

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«L'ombre de Zarathoutra: interactions entre l'islam iranien et l'imaginaire zoroastrien dans la culture persane», le mercredi 11 mai à 13h, au Pavillon des sciences de l'Université de Sherbrooke. 

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